Quartier chaud et chaleur humaine
Cette belle phrase "Quartier chaud et chaleur humaine" provient d'un reportage radiophonique de la radio suisse RTS (5) dont j'ai eu la chance de participer. Tout en évoquant les réalités sociales de notre quartier, ce dernier est aussi rythmé de notes positives. Peut-être aurait-il mérité de davantage de positivité et de parler un peu plus du vieux Neuhof pour bien comprendre le caractère mosaïque. On oublie trop souvent que le Neuhof c'est aussi une forêt, une beauté urbanistique et culturelle à la fois (où se mélange une identité alsacienne bien marquée dans le vieux-Neuhof à travers les maisons et les habitants, une grande variété de cultures dont je ne pourrais vous citer du fait de l'abondance et la richesse de cette diversité de peur d'en oublier). Il est vrai que les matériaux ont été mal choisis dans le cas des grands ensembles, donnant cette impression de provisoire. Il n'en demeure pas moins qu'il y a des logiques urbaines derrière ces créations. La cité Reuss achevée en 1950, se rattache à une alternance de pleins et de vides, permettant l'aménagement de jardins et donc de lieux de sociabilité. La "demi-lune", rue Schach, a une forme atypique. De plus, la volonté de donner de la hauteur au bâtiment, c'était, permettre davantage d'espace extérieur selon la vision de Le Corbusier. Sans compter naturellement, la cité-jardin du Stockfeld de 1910 qui se réfère à Ebenezer Howard. Des exemples qu'on pourrait multiplier.
Naturellement, il ne faut pas dorer le tableau, et oublier qu'il y a une segrégation et des frustrations pour les populations qui en ont été victimes. Les matériaux, le non respect des idées de Le Corbusier en sont certainement pour quelque chose. Mais au fond, le vrai problème, c'est nous. Le processus de ségrégation spatiale se fait selon un double facteur, social et culturel. Le géographe Hervé Vieillard-Varon explique que la colonisation a laissé des traces dans la société française. L'héritage colonial a formé des représentations, des préjugés qui s'inscrivent durablement dans les mentalités, entraînant la relégation des individus issus de l'immigration. Les jeunes ou adultes d'origine étrangère se retrouvent donc à subir deux types de préjudice, le "délit de faciès" renforcé par celui "d'adresse". Ceci, doublé par un aspect proprement sociologique, où "chaque groupe s'évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés" selon Eric Maurin (économiste spécialisé sur le séparatisme social).
La municipalité strasbourgeoise, on le sait, a cherché à éradiquer ces phénomènes sociaux. Par la construction de nouvelles résidences dans et autour de la cité, l'arrivée du tramway qui a permis la connexion entre la "cité du Neuhof" avec le centre ville et les autres quartiers, et surtout par l'invention d'une nouvelle centralité (le carrefour Reuss où se situe le terminus du tram, la mairie de quartier, l'adjointe du Neuhof dans l'ancienne maison de la famille Reuss, le centre Django Rheinhardt). Celle-ci a le mérite de chercher à créer des liens sociaux entre l'ancien Neuhof (dont le centre historique est l'emplacement de l'église Saint-Ignace) et le nouveau. Malheureusement, l'actualité et la récidive (drogues, agressions, voitures brûlées) continuent à entretenir les blocs. Aussi, le nom Neuhof est évacué, on ne se sent pas appartenir à une même communauté, traçant une frontière virtuelle entre le vieux et le nouveau Neuhof (cité). Voir, on l'a vu, en son Nord également (Dans le lieu-dit de la Kibitzenau).
Le seul antidote, on le connaît, valoriser le quartier, permettre aux gens de se rassembler dans une même communauté de destin. Obliger les médias à modifier la vue du quartier par la création de solidarités afin de le rendre plus attractif. Avec à terme, de nouveaux habitants d'horizons différentes qui eux-mêmes adopteront ce quartier, son nom, son histoire, ses problématiques. Les lieux-dits, je me répète, sont importants pour l'histoire du quartier et son identité mais ne doivent plus servir à alimenter les replis. On rentrera ainsi dans un cercle positif où la mixité sera la règle. Ce n'est pas en maintenant les tensions entre neuhofois, avec les autres strasbourgeois, nourries par des faits d'actualité alarmistes que la situation s'arrangera. Si les gens ont envie d'établir des échanges, le rapport à notre quartier ne peut qu'aller en s'arrangeant.
La chaleur humaine doit prendre le dessus sur le quartier chaud pour faire un clin d'oeil au journaliste, Jonas Pool.
Maison Reus (1)
La Demi-Lune (2)
Carrefour Reuss (3)
Cité Reuss (2)
Cité-jardin de datant de 1910 (4)
(1) http://www.strasbourg.eu/territoire/les-quartiers/neuhof-stockfeld-ganzau/decouvrir-quartier-neuhof/histoire-quartier-neuhof
(2) http://www.archi-strasbourg.org
(3) http://zoom-sur-neuhof.blogspot.fr
(4) http://www.crdp-strasbourg.fr/
(5) http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/bons-baisers-de/6012298-bons-baisers-de-du-22-08-2014.html#6012297
Vieillard-Baron Hervé, "Les banlieues, entre dynamisme retrouvé et dérives ségrégatives", dans La France. Une géographie urbaine, sous la direction de Laurent CAILLY et Martin VANIER, éd. Armand Colin, Paris, 2010
http://www.strasbourg.eu/territoire/les-quartiers/neuhof-stockfeld-ganzau
A voir également sur le thème de la séparation sociale et culturelle dans les espaces urbains :
MAURIN Eric, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, éd. seuil, Paris, 2004
BELMESSOUS Hacène, Voyages en sous France, éd. les éditions de l'atelier, Paris, 2004 (Plus spécifique au Neuhof)